Nicodème Jn 3, 1-22.
La liturgie propose trois jours de suite la rencontre de Nicodème avec Jésus. Je les mets dans cet ordre là, car c'est bien cet homme, ce pharisien, ce notable, qui vient trouver Jésus pendant la nuit. Un peu comme s'il voulait se cacher de ses concitoyens, qui pourraient le regarder d'un mauvais œil.
La récente série vidéo "The Chosen" présente cet homme de manière assez étonnante: surtout il "piste" un peu Jésus, pour comprendre "comment" fait cet homme. Il est fasciné par ce qu'il entend dire de lui. Mais ce qui m'a le plus étonné dans la vidéo, c'est que la rencontre se passe à Capharnaüm, alors que pour moi, la rencontre a lieu à Jérusalem. Si on suit la chronologie de Jean, qui fait aller Jésus - chapitre 2 - de Cana (premier signe, avec l'eau devenue vin de noces) à Capharnaüm, d'où il monte à Jérusalem, chasse les vendeurs du Temple, puis célèbre la première Pâque (il y en a trois dans le récit johannique), rencontre ensuite Nicodème puis reste ensuite en Judée où il baptise, rien ne prouve que Jésus est resté à Jérusalem, et la rencontre pourrait avoir eu lieu en Galilée. Mais cette mention de l'auteur sur Jésus qui se rend en Judée m'a un peu interpellée. Impossible de savoir si la rencontre se passe à Jérusalem, ce que je continue à croire, ou en Galilée. Mais la mention sur la Judée reste question.
Ce qui est certain, c'est que ce "Maître", qui est membre du Sanhédrin, veut en savoir plus sur Jésus. Mais comme le note l'évangéliste, la rencontre a lieu dans la soirée, et on peut supposer que Nicodème a envoyé quelqu'un pour fixer un rendez-vous qui l'arrange.
On ne peut pas dire que la rencontre se passe bien. Le moins que l'on puisse dire c'est que Nicodème, qui plus tard prendra la défense de Jésus et réclamera son corps à Pilate, au nom de tous les pharisiens, se fait quand même bien malmener par Jésus. On a parfois l'impression d'un dialogue de sourds, avec un jeune homme, très brillant, qui semble horrifié par l'incapacité de comprendre de son "vieil" interlocuteur, qui trop souvent prend les choses au pied de la lettre, ce qui est quand même la manière rabbinique de laisser un texte questionner, et qui passe vraiment pour un demeuré (j'emploie ce terme exprès, car Jean affectionne ce terme: si quelqu'un m'aime, mon Père l'aimera, nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure"). Car c'est peut-être bien cela le chemin de Nicodème., et notre chemin, devenir "demeure".
Nicodème raconte (1).
Depuis peu, il y a un jeune homme, enfin je dis jeune car il doit avoir entre trente et quarante ans, mais plus près de 30, ce qui pour moi qui ai le double de son âge est jeune, un Galiléen, qui fait des choses peu ordinaires. Il est de Nazareth, mais de Nazareth que peut-il sortir de bon? Certains pensent qu'il est le Messie, mais le Messie, lui, doit être de la descendance de David et donc être né à Bethléem.
On m'a raconté qu'il est allé voir ce Jean qui baptise sur les bords du Jourdain, ce Jean qui fait un peu penser à Elie le prophète; qui n'a été investi par aucun d'entre les nôtres, mais qui dit être la voix qui crie dans le désert. Et beaucoup viennent à lui. À certains d'entre nous qui sont allés le questionner, pour savoir au nom de quoi il faisait ce qu'il faisait, prêcher un baptême de conversion, il a dit qu'il y a chez nous, quelqu'un que nous ne connaissons pas; mais que lui, il ne s'estime pas digne de délier la courroie de sa sandale. Il dit aussi avoir vu l'Esprit, tel une colombe, se poser sur cet homme, quand il est remonté des eaux du Jourdain, et avoir dit qu'il était l'agneau de Dieu. Certains disent que celui dont il parle, ce serait ce Jésus, ce Nazaréen.
Mais nous, les pharisiens, nous ne l'aimons pas trop, Jean; il est très populaire parmi les soldats, et tous ceux qui sont à la solde des romains, des pécheurs. Mais parler de conversion, ça ne fait de mal à personne.
Ce Jésus est venu à Jérusalem au moment de la célébration de la Pâque. Et, à ma grande joie je dois le reconnaître, il a chassé les vendeurs du Temple, vendeurs qui ne devraient pas être là, et qui sont des profiteurs. Mais il a eu une phrase curieuse, une phrase qui m'interroge, pour justifier son geste. Il a dit "Ne faites pas de la maison de mon Père, une maison de voleurs". Que veut-il dire par là? La maison de son Père. Voudrait-il nous faire croire que notre Dieu, est son Père?
On dit qu'il a ensuite beaucoup parlé, et fait quelques guérisons et quelques expulsions; mais cela, nos disciples aussi en sont capables.
J'avais envie de me faire ma propre opinion, et j'ai envoyé mon serviteur le voir, pour qu'il me propose une heure de rencontre. Mais je ne veux pas me faire remarquer, je suis déjà un peu considéré comme un excentrique; je tiens à le rencontrer de nuit.
En arrivant, un peu pour lui faire comprendre que je n'étais pas contre lui, mais avec lui, je lui ai dit que je savais que Dieu était avec lui, parce que les signes qu'il accomplissait ne peuvent venir que d'une union avec le Très-Haut et si comme l'a dit ce baptiseur, l'Esprit est sur lui, qui suis-je pour le contrer?
Et là-dessus, il est parti dans les hauteurs si je puis dire. Au lieu de me répondre amicalement, il m'a dit sur un ton très péremptoire, que "à moins de naître d'en haut, on ne peut voir le royaume de Dieu". Naître d'en haut, mais qu'est-ce qu'il veut dire? Et lui alors, lui qui est né à Nazareth, on ne sait même pas trop qui est son père, qui est-il pour me balancer une phrase pareille. Et en bon rabbin que je suis, j'ai repris un mot, pour qu'il s'explique. Je lui ai demandé, "Comment un homme peut naître quand il est vieux? Comment peut-il revenir dans le ventre de sa mère"? Et en moi-même je pensais que cette dernière ne devait plus être de ce monde! Ma mère nous a quitté il y a longtemps. Là, j'espérais lui avoir montré que j'avais de la répartie moi aussi.
Mais lui, il est parti sur autre chose. Et je n'ai pas compris. Ce n'était pas un raisonnement, c'était une affirmation. Il n'a pas répondu à ma question, comme si elle était stupide. J'avais l'impression que ce n'était plus à moi qu'il parlait, mais à ses disciples, qui le regardaient avec admiration. Il a dit "que nul, à moins de naître de l'eau et de l'Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu". Là, si je crois ce que le Baptiseur a dit, il parle de lui, mais peut-être pas seulement. Va-t-il proposer un autre baptême? Mais qui est maître de l'Esprit, à part le Très Haut?
Et il a continué, en disant que je ne sois pas étonné par ses paroles (et là ça devait bien se voir qu'étonné je l'étais), "que ce qui est né de la chair est chair, que ce qui est né de l'Esprit est esprit"
Il veut dire quoi? Tous, nous sommes nés de la chair, tous nous avons un corps, un corps tissé dans le sein de notre mère, et nous pensons que pour certains, l'Esprit de Dieu repose sur eux, c'est ce qu'affirmait Isaïe (2); et j'aime à pense que de l'Esprit du Très Haut est sur moi quand je récite les psaumes, les prières, quand j'offre des sacrifices, quand je fais l'aumône, quand je donne la dîme.
Puis il a ajouté "il faut naître d'en Haut". Il oppose le bas, peut-être notre monde, avec le Haut, le lieu de la Présence. Au fond de moi, je le sais bien mais comment faire? Et il a conclu par une analogie en disant que "le vent souffle où il veut, qu'on entend sa voix, mais qu'on ne sait ni d'où il vient, ni où il va. Et que c'est pareil pour qui est né de l'Esprit." Alors là, qu'est ce qu'il veut faire comprendre? Que je ne sais pas d'où il est, ni où il va? Mais que lui, qui se dit si je comprends bien envahi par l'Esprit, quand il parle, c'est la voix du Très Haut que j'entends? C'est un peu comme s'il affirmait être le prophète, celui que Moïse nous a promis.
Là encore, pour montrer que je suivais son raisonnement, j'ai demandé "comment cela pouvait se faire"?. Là il a fait semblant d'être étonné que moi, "un maître qui enseigne en Israël, je ne connaisse pas ces choses là". J'avais l'impression qu'il avait un petit air ironique, mais pas méchant. Sauf que je reconnais que j'ai bien du mal à le suivre. Je ne sais jamais sur quel plan il va poursuivre.
Et là, j'ai eu l'impression qu'il s'envolait. Il a employé du je, du nous, du vous et le vous c'était vraiment comme une attaque. On aurait dit qu'il y avait en lui une présence qui lui parlait et que nous, nous n'étions pas capables d'écouter et de comprendre ce qu'il voulait nous dire.
Il a dit, non pas que nous ne recevions pas son témoignage, mais "notre" témoignage. Et là il n'a pas tort parce que pour qu'un témoignage soit reçu, il faut deux personnes et c'est comme si lui, témoignait de cette présence en lui, mais cette présence je ne la vois pas, et c'est peut-être là le difficile. Et il a conclu bizarrement en disant que "nul n'est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme". Et il a ajouté," De même sur le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé, afin qu'en lui, tout homme ait la vie éternelle".
Alors là, je suis un peu rentré en moi-même, dans mes pensées. S'il dit être le Fils de l'homme, celui qui est figure du Très Haut, dans le livre de Daniel (2)s'il dit qu'il est venu du ciel pour nous donner la vie éternelle, celle qui va bien au-delà de la mort du corps, qui est-il? Et je l'ai écouté parler à ses disciples, car moi, j'étais incapable de continuer le dialogue.
Et il a dit en s'adressant à tous, que Dieu avait tellement aimé le monde, qu'il lui avait donné son Fils Unique, pour que tout homme qui croit en lui, ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle". Quand il disait cela, j'avais l'impression d'entendre le prophète Ézéchiel qui parle des brebis qui s'égarent à cause des prêtres, et je me demandais s'il ne s'agissait aussi un peu de nous les pharisiens avec notre grand respect de la loi, mais surtout des préceptes, et que si cet homme ne serait pas le vrai berger, celui qui permet aux brebis de trouver un pâturage et aussi d'être protégées. (3)
Je crois qu'ensuite il s'est mis à parler de lui, en disant que Dieu, qu'il considère comme son Père, "l'a envoyé dans le monde non pas pour juger le monde, mais pour que par lui le monde soit sauvé". Et je dois reconnaître qu'en moi, cette phrase a résonné et résonne encore, et que j'ai vraiment envie de croire. Mais je suis incapable de savoir s'il est fou ou si vraiment il est l'envoyé, et pourtant jusqu'à présent sa vie est celle d'un homme inspiré.
Et comme s'il avait lu en moi, il a repris ce verbe "croire" en disant que celui qui croit en lui échappe au jugement, et que celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu'il n'a pas cru au nom du Fils Unique de Dieu".Mais qui pourra croire parmi nous que Dieu a un Fils, et qu'il l'a envoyé dans le monde? C'est tellement étonnant. Il va me falloir du temps pour laisser cela faire son chemin en moi.
Il a conclu en disant que la lumière (je pense que c'est lui) est venue dans le monde, mais que monde ne l'a pas reçue: que les hommes préfèrent les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres sont mauvaises".
Ensuite, il me semble qu'il a terminé par une sorte de sentence, je dirai presque de proverbe.
Il a dit" que celui qui fait le mal déteste la lumière, il ne vient pas à la lumière de peur que ses œuvres ne soient dénoncées". Je dois dire, que malheureusement il a raison. Personne n'aime que ce qu'il fait de mal soit dévoilé, et même le reconnaître reste très difficile, parce que parfois, on ne se rend pas compte que c'est mal. Et quand il dit "que celui qui fait le mal déteste la lumière", c'est un peu comme s'il disait que celui qui fait le mal a peur que la lumière le blesse, lui fasse mal aux yeux; alors il préfère rester dans l'obscurité. C'est un refus, et ces refus, nous savons que Dieu ne les aime pas. S'il nous appelle aussi souvent "le peuple à la nuque raide", c'est bien parce que nous en sommes spécialistes. Et je me demande si lui, ne se considère pas comme la lumière; et que nous refusons - nous qui savons - de lui reconnaître cette qualité, parce que quelque part cela nous fait peur.
Puis, il a symétrisé, en disant que "celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu'il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu". Peut-on comparer faire le mal avec faire la vérité? Est-ce que "vérité" cela veut dire "bien"? Mais la connaissance du bien et du mal, c'est tellement compliqué, même pour moi qui suis un maître. Peut-être parle-t-il de lui? Je ne sais pas.
Là-dessus, je l'ai quitté, et je suis revenu rempli de perplexité dans ma demeure. Pour moi, il est certain que c'est un homme habité par l'Esprit. Est-il ce qu'il dit être, le Fils de l'homme? Cela je ne le sais pas. Je verrai bien comment cela va évoluer au fil de jours, mais je crains qu'il ne finisse comme un blasphémateur, lapidé.
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(1) Les phrases tirées de l'évangile Jn 3, 1-22 sont en italique.
(2) Is 61,1
(3) Ez 34,11-61
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