Jn 21, 1-12. L'apparition sur le lac.
C'est le texte proposé pour le vendredi de l'octave de Pâques.
Si on se réfère au chapitre 20 de cet évangile, l'auteur nous dit "qu'il y a encore beaucoup de signes que Jésus a faits en présence de ses disciples, et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom."
Et pourtant le rédacteur a éprouvé le besoin de rapporter la troisième manifestation de Jésus. Elle se passe sur les bords du lac de Tibériade, ce qui évoque la multiplication des pains (Jn 6); les disciples sont peu nombreux, mais nommés: ils sont sept, Simon-Pierre, Thomas, Nathanaël, les fils de Zébédée donc Jacques et Jean (on retrouve donc les trois qui ont vu la transfiguration), et deux autres disciples, l'un d'eux étant le disciple que Jésus aimait.
Ce qui est étonnant, c'est qu'à Jérusalem Jésus a répandu son esprit sur ses disciples en soufflant sur eux, et leur a donné le pouvoir de remettre les péchés ou de les maintenir. On peut quand même se demander pourquoi un certain nombre de disciples, dont ceux que nous savons être de Galilée, s'en sont retournés chez eux finalement comme si rien n'était advenu; comme s'ils pouvaient reprendre leur vie, là où ils l'avaient laissé.
Peut-être que toute cette séquence, qui se termine par l'envoi de Pierre en mission, est là pour nous dire que maintenant que Jésus est revenu à la vie et que la mort a été vaincue, il n'est plus question de faire comme si rien ne s'était passé: il faut aller de l'avant.
On dit souvent que, si Pierre passe un vêtement au moment où il saute à l'eau pour rejoindre Jésus sur la rive, c'est parce que - comme Adam au moment de la faute - il se sent coupable et se met à l'abri derrière ce vêtement; qui va être trempé et ne servira à rien. Je ne pense pas que la culpabilité soit en cause (même si c'est ce que la suite du texte pourrait faire croire avec la triple question); parce que ce qui s'est passé à Jérusalem, et le don de l'Esprit, montre que Jésus est passé lui aussi à autre chose. Mais ici Pierre, en reprenant sa vie d'avant, sa vie de pêcheur, a pris encore la fuite, plus que la nuit du Jeudi saint. Et le feu de braises certes renvoie au feu qui a entendu ce reniement, mais peut-être aussi au buisson ardent, qui brûle sans se consumer et qui est lieu de la présence de Dieu.
Je me disais aussi que les trois questions de Jésus, surtout la première, prennent un autre sens, si on admet que Pierre a refait un petit groupe d'amis pour refaire avec eux une vie.
- Le "Simon-Pierre, m'aimes-tu plus que tu aimes ceux-ci" (est-ce que tu me préfères à eux, tes amis) prend alors tout son sens. Et Pierre en répondant "oui", choisit d'aimer Jésus: et alors Jésus lui demande d'être le berger de ses agneaux (c’est-à-dire de ceux-là qui sont les "enfants" de Jésus, ce qui renvoie à la manière dont Jésus les appelle au début de la péricope).
- Le second "Simon-Pierre, m'aimes-tu vraiment" peut effectivement faire référence à ce qui s'est passé durant la nuit du jeudi au vendredi (mais peut-être ne faut-il pas oublier que Pierre a essayé de défendre Jésus en blessant un serviteur du grand-prêtre), et pousse un peu Pierre dans ses retranchements. Cela l'oblige, lui l'impulsif, à réfléchir. Et sa réponse: "Oui, toi Seigneur tu le sais" va bien dans ce sens. Et là, Jésus augmente en quelque sorte la charge: désormais, il y a les brebis, ces brebis dont Jésus parlait au chapitre 10, qui sont ceux qui connaissent sa voix. Et là, ça fait du monde.
- Quant à la troisième question, puisqu'il s'agit de ce verbe aimer qui a deux sens en grec, je peux penser que pour Pierre il est impossible d'aimer au sens plein, comme Jésus aime et que cela il le sait et que cela l'attriste et c'est peut-être pour cela que Jésus se met à son niveau et lui parle de cet amour d'amitié, mais cet amour là, quand il va jusqu'au bout, permet bien d'être le le vberger des brebis du Seigneur..
Je pense qu'il se fait là tout un chemin de conversion pour Pierre, un chemin que l'on est tous, appelé à faire, mais chacun à sa manière.
Mais je reconnais que c'est une interprétation très osée de ma part.
Bien sûr il y a le filet qui ne se rompt pas contrairement au voile du temple (mais ce n'est pas la même rédaction); il y a les 153 poissons sur lesquels on a beaucoup écrit, (si on cherche la signification des 153, outre St Augustin et le nombre d'or, voir https://www.bibliorama.org/jean-21-11-les-153-gros-poissons/). Mais il y a surtout que ce pain et ces poissons, ceux qui sont déjà là et ceux qui sont apportés par Pierre, évoquent tellement ce qui s'est passé le jour où Jésus a nourri une foule. Là il partage ces aliments, et c'est lui qui nourrit, et ce sera bien aux disciples de reprendre ce geste et de nourrir ces nations qui demandent à connaître le Fils.
Simon-Pierre raconte.
Notre maître, celui pour lequel nous avons tout quitté, avait été mis à mort sur une croix. Il avait dit que cela devait arriver, qu'il devait mourir sur une croix, mais je n'arrivais pas à y croire. Et quand c'est arrivé, croire qu'il pouvait revenir à la vie c'était impossible. Quand un poisson est sorti de l'eau, il meurt. Quand un homme est sur une croix, il meurt.
Et pourtant, par deux fois il s'est manifesté, il est apparu alors que nous étions enfermés dans la chambre haute, parce que nous avions peur que les juifs ne veuillent mettre la main sur nous, comme si nous avions volé le corps. Et il avait soufflé sur nous, nous avait donné ce pouvoir énorme de maintenir les péchés ou au contraire de pouvoir délier. Et Thomas ,qui lui était absent lors de cette première venue, et qui refusait de nous croire, a reconnu que Jésus était bien redevenu vivant, et que Jésus était son Seigneur et son Dieu. Car l'homme que nous avions connu n'était plus là, c'était un autre, et quelque part nous en avions un peu peur.
Et puis nous avons décidé de retourner chez nous en Galilée, loin de Jérusalem, le temps que la pression retombe. On reviendrait peut-être pour la fête du don de la Loi, la fête de Chavouot, même si désormais cette loi était remplacée par celle que le Seigneur nous avait donnée: de nous aimer les uns les autres comme Lui nous avait aimé.
Et ce soir-là, j'avais envie de pêcher. Je l'ai dit à mes amis, ceux de toujours, Jacques et Jean, Nathanaël, mais aussi à Thomas, et à deux autres dont Jean, celui qui comprend toujours tout avant tout le monde, comme s'il était en prise directe sur Jésus; et encore un autre. Et toute la nuit nous avons pêché et rien, rien, rien. C'en était à pleurer.
Et quand nous avons regagné le rivage, un homme au loin nous a interpellé. Il nous a dit: "Hé les enfants, avez-vous du poisson?" Quelle drôle de question et pourquoi, nous appeler ainsi, comme s'il nous connaissait? Nous avons répondu que non. Là il nous a dit de jeter le filet à droite de la barque. Cela nous a étonné, mais nous l'avons fait et là, la barque a commencé à se pencher vers la droite, sous le poids du filet qui se remplissait. Et c'est là que Jean, (pas le frère de Jacques) m'a dit: "c'est le Seigneur", et j'ai su qu'il avait raison.
Seulement, j'avais un peu honte de moi, parce que le soir où il avait été arrêté et quand il avait annoncé que je le trahirai par trois fois, moi, je pensais vraiment donner ma vie pour lui et le suivre partout et j'avais quitté Jérusalem, et j'avais repris ma vie d'avant. Alors j'ai passé un vêtement, et j'ai sauté à l'eau. Les autres ont suivi et ils ont laissé la barque sans remonter le filet. Quand je suis arrivé au bord, avec mes vêtements trempés, il m'a fait signe d'aller auprès du feu pour me réchauffer; il ne disait rien, il me regardait comme lui seul sait regarder. Et là, j'ai vraiment su qu'il était ressuscité, qu'il était le Seigneur, qu'il était Dieu, comme Thomas l'avait dit.
Sur le feu de braise, il y avait du poisson et du pain, et ça sentait bon. Il a demandé de prendre aussi de notre poisson et c'est là que je suis retourné à la barque que j'ai amené le filet sur la terre, que j'ai constaté que le filet ne s'était pas rompu, ce qui est étonnant avec une charge pareille, et qu'il y avait 153 poissons. Et des beaux poissons; pas de ce ceux qu'on rejette.
D'un coup, je me suis retrouvé comme en arrière dans le temps: ce jour où, après avoir guéri un homme qui ne marchait plus depuis trente-huit ans, Jésus avait dû quitter Jérusalem parce que les pharisiens lui reprochaient d'avoir obligé l'homme à porter sa civière un jour de Shabbat. Et nous nous étions retrouvés en Galilée, chez nous, avec une foule importante que nous voulions renvoyer, car la nuit était proche. C'était peu de temps avant la fête de la Pâque. Il avait nourri la foule lui tout seul avec ce que nous avions, du pain et du poisson. Et ici, il y avait à nouveau du pain, du poisson grillé et il nous a partagé cela. Tous les sept, nous étions à nouveau avec "notre" Jésus, celui qui avait nourri la foule, qui avait dit qu'il donnerait sa vie pour que nous ayons, nous, la vie éternelle.
Un petit moment a passé. Et puis, par trois fois, il m'a demandé si je l'aimais. Et par trois fois j'ai dit que oui je l'aimais plus que ceux qui étaient là, que oui je l'aimais et que oui je l'aimais, mais que je ne savais pas faire. Et par trois fois il m'a donné la charge d'être le berger.
Moi qui ne suis qu'un pauvre pêcheur, je lui succède pour prendre en charge ses brebis. Moi l'impétueux, et bien j'accepte cela, comme l'intendant, qui sait qu'il n'est que l'intendant, et qui fera de son mieux pour que la parole d'amour se répande sur toute la terre. Peut-être que cela me conduira à la mort, mais là au moins je pourrai lui ressembler, je donnerai vraiment ma vie pour lui, et jamais plus je ne le renierai.
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