mercredi, décembre 21, 2016

Honte et culpabilité.

Honte et culpabilité.

Il me semble que de nos jours, si à un niveau collectif on peut parler de la honte  par exemple en disant " parce que Un tel a dit ou fait quelque chose, alors c’est « la honte »" pour un certain nombre de personnes, on préfère et de loin remplacer ce mot par culpabilité . Or la culpabilité renvoie à une faute commise contre quelqu’un, elle est donc dans la relation (les psychanalystes parlent de Surmoi) alors que la honte renvoie à une image de soi abimée, et renvoie au Moi Idéal et donc au Narcissisme.

Il me semble que cette confusion est grave. La culpabilité peut être réparée on peut demander pardon, la honte elle se lave, dans le sang bien souvent car elle va avec le déshonneur, l’humiliation. Je pense que bien souvent c’est la honte sous-jacente à la culpabilité (même si la faute est grave) qui pousse au suicide.

De manière simple on pourrait dire qu’il y a plusieurs types de honte. 

Il y a la honte personnelle : je veux faire quelque chose de bien et je n’y arrive pas (et le regard des autres est là pour se moquer de moi) c’est le cas du petit qui ne veut plus porter de couches et qui se mouille quand même. C’est la honte échec et le regard de l’autre est très important. Si le regard de l’autre n’est pas consolateur (tu n’y es pas arrivé, mais tu y arriveras la prochaine fois) un vécu d’échec s’installe et la confiance en soit se perd. Il y a un autre ennui, c’est que dans une famille, l’échec d’un enfant est parfois l’échec de la famille. C’est le cas quand un enfant vient au monde avec un handicap, ou quand l’enfant par la suite, ne fait pas honneur à la famille. Cette honte là (pour les psychanalystes, on pourrait parler de narcissisme primaire), façonne un certain type de personnalité, mais quand on quitte le registre de la honte pour aborder celui de la culpabilité, l’enfant se croit responsable d’avoir fait quelque chose de mal, sans savoir ce qu’il a fait et cela peut être très nocif sur son développement.

Il y a la honte liée à l’autre : la comparaison entre soi et l’autre, entre un plus faible et un plus fort. Quand le plus fort est vaincu par le plus faible, l’humiliation est insupportable et ne peut se laver que par violence. C’est ce qui se passe entre Caïn et Abel. Caïn pour une fois n’est pas le meilleur et cela lui est tellement insupportable que le seul moyen de laver ce qu’il vit comme un affront est de tuer Abel. Bien sûr, on peut parler de rivalité, d’envie, mais à aucun moment Caïn ne se reconnait coupable et il conteste même la sanction divine qui est l’exclusion du clan et le refus de la terre de lui donner son fruit alors qu’il était agriculteur.
C’est le cas de toutes les guerres. Le vaincu est dans la honte, il est humilié, il a perdu. Le vainqueur en profite, le vaincu devient victime d’humiliations sans nombre, pour qu’il comprenne bien qui est le plus fort.  Cette honte là, se lave souvent dans le sang car elle renvoie au déshonneur, mais souvent elle se traduit aussi par une haine ou des haines qui perdurent au-delà des siècles..

Il y a enfin la honte subie consécutive à ce que vous a fait subir un autre. C’est la honte dont parle tous ceux qui ont été en position de victime. Cela renvoie à l’esclavage de toute nature, en particulier sexuel. Normalement c’est celui qui se sert de l’autre qui devrait être porteur de la honte, mais il n’en n’est rien. C’est la victime qui est honteuse, car elle n’a pas pu se défendre, dire non, riposter, mais elle se vit à juste titre comme salie, bafouée.

Réflexions sur la honte.

La honte par définition se cache. C’est un peu un tabou. Ces secrets de famille qui empoisonnent tant les relations et même les vies sont bien liées à ce tabou : on ne dit pas ce qui a provoqué la honte, le déshonneur, donc l’exclusion de son groupe social, ou sa place dans sa famille. La honte il faut la masquer voire l’enterrer. Et pourtant, elle est là, elle stigmatise un individu, une famille, un village, une nation. 

La question de la « honte » est une question qui me semble importante, car les personnes que je connais et qui ont vécu des abus dans leur enfance, parlent certes de culpabilité (c’est de leur faute si telle ou telle chose leur est arrivée parce qu’elles n’ont pas su crier ou de défendre ou dire non), elles l’ont bien cherché.. Mais surtout, ce sont ces actes mauvais, défendus par la société, qui les ont couvertes de honte, alors que ce devrait être l’auteur de ces actes qui devrait en être couvert. Or souvent ceux qui font ce tels actes hors norme, s’en glorifient, et se considèrent comme des héros. Ce qui serait héroïque, serait qu’ils puissent demander pardon à leur victime, reconnaître ce qu’ils ont fait, car seule cette reconnaissance permettrait aux victimes de vivre et non plus de survivre.

Mais ce mot de honte,  (j’ai honte d’être ce que je suis devenu ou ce qu’on m’a fait devenir) n’est que rarement prononcé, car en lui-même il fait honte. La honte doit être cachée. Et pourtant ces personnes, portent sur elles et en elles, cette espèce de peau (un peu comme Peau d’Ane) qu’elles sont seules à voir et à porter, mais qu’elles imaginent être vue par tous ceux qui les croisent. Alors, souvent elles sont voutées, parfois à la limite de l’obésité, elles n’osent pas poser de questions aux autres, elles n’osent pas demander de renseignements et elles se cachent. Elles vivent dans la peur (comme Adam dans le livre de la Genèse) que quelque chose ne se voit.

Aujourd’hui dans ma pratique, il me paraît fondamental de dissocier ce qu’il en est de la honte (ne pas avoir été à la hauteur, ne pas faire honneur, être un objet de dégoût pour soi-même et pour les autres) de la culpabilité qui fait que l’on se sent fautif, pas bon, mais en relation avec un autre. Que la honte comme la culpabilité puissent permettre, pour lutter contre ces sentiments intérieurs de se montrer inventif, c’est certain, car sortir du déshonneur pousse souvent à des actes de valeureux, mais est ce suffisant ? Sortir de la faute en luttant contre l’agressivité peut permettre de de donner le meilleur de soi ? Mais est ce suffisant si on ne retrouve pas la confiance en soi et la confiance en l’autre. Il me semble que seule la confiance faite et donnée, permet de sortir de cet enfer.

On peut dire que souvent la honte est inculquée à l’enfant avant même qu’il ne sache vraiment parler. il ne doit pas faire honte à sa famille . C’est une phrase qu’il entend quand il est invité avec sa famille à l’extérieur, il doit dire ‘s’il te plait’, il ne doit pas faire dans sa culotte (enfin avec les couches culottes cela change la donne, mais peut-être pas l’odeur). Ne pas faire honte, c’est montrer que sa famille est une bonne famille, qui l’éduque selon les règles. Il fait donc honneur à  sa famille. Elle est socialisée et la honte de l’un atteint en général tous les autres et elle pousse à se terrer, à se cacher ou à faire semblant.

Mais il arrive que cette sensation, ce sentiment de honte, soit présent avant même que l’enfant ne s’en rende compte. Il ne correspond à ce qu’on voulait, il n’a rien réparé (parfois il doit réparer la mère ou la famille) et il est même ce n’est pas dit, un objet de honte et cela fabriquera ce qu’on appelle un narcissisme primaire de mauvaise qualité qui fera le lit de la culpabilité inconsciente : l’enfant ne comprend pourquoi il n’est pas aimé et s’en attribuera la faute. Alors on parlera de culpabilité alors qu’il s’agit de honte . Les psys savent que dans ce contexte l’enfant commettre des fautes pour se faire punir puisqu’il se sait être mauvais, pas bon donc coupable, et que faire des actes qui mettent à la punition permettent de comprendre. Ils donnent un sens que l’enfant ne peut trouver par lui-même à ce moment de sa vie. Parfois on parle de l’enfant merveilleux qu’il faut comme réanimer tellement il est bâillonné  par cette honte.

Réflexions sur honte et culpabilité

La honte est associée au déshonneur, et le déshonneur en principe ne se lave que dans le sang (voir toutes les histoires de vendetta qui perdure des générations) . SI les victimes parlent si peu, c’est que parler c’est jeter le déshonneur sur toute la famille et que cela est plus que difficile,  d ‘autant que bien souvent  se taire, c’est justement assurer un rôle de protection que de porter sur soi le déshonneur en protégeant sa famille et du coup d’avoir au moins un petit rôle positif à jouer.

La culpabilité, du moins telle qu’elle est décrite en général consiste à faire quelque chose qui va blesser l’autre, qui donc atteint la relation. Le petit enfant , le nourrisson lors de son développement (normal) se rend compte que par son comportement il fait du mal à sa mère (refus de manger par exemple), et comme il aime sa mère, il ne demandera pas pardon, parce qu’il est trop petit pour cela, mais il va soit essayer de réparer, soit de plaire et par exemple de faire des efforts d’autonomie, car il sent que cela fait du « bon » pour sa maman. La culpabilité a donc un versant positif, surtout quand la maman valorise son enfant qui sourit, qui gazouille, qui accepte mieux qu’elle ne soit pas à sa disposition.

Les psychanalystes parlent en fait de deux culpabilités et de deux hontes. Car chacune d’entre elle, suivant ce qu’elle atteint dans l’enfant, donne naissance à des comportements différents . Il y a une culpabilité primaire (l’enfant ne sait pas ce qu’il a fiat, mais il l’a fait qui touche à l’identité et à la réparation impossible) et une culpabilité secondaire, celle que nous connaissons tous plus ou moins et qui si elle coupe la relation peut quand même (le pardon) permettre de rétablir ce qui a été coupé. De même il y a une honte primaire, qui peut être liée à l’histoire de la famille, à la maladie, qui d’emblée ne permet pas à l’enfant d’avoir sa place de sujet, et la honte plus banale liée à ces échecs que nous connaissons tous et qui renvoient à l’analité et au stade phallique.

On peut dire qu’ Il y a une culpabilité qui permet la créativité, la réparation la symbolisation, et une culpabilité qui détruit l’être, l’identité, et qui est dangereuse. Il y a une honte qui est liée à certaines expériences et qui permet de grandir (on ne refera plus jamais, on inventera autre chose- et une honte qui vous stigmatise, vous détruit à tout jamais, vous fait comprendre que vous n’avez aucune valeur, pas le droit à l’existence, qui fait de vous un objet et non un sujet.

Il n’en demeure pas moins, que la culpabilité est toujours mise en avant (ne faut-il pas se reconnaître pécheur lors des célébrations liturgiques et demander pardon pour cela), alors que bien souvent en amont de la culpabilité il y a cette honte qui paralyse, qui bloque, qui isole et la reconnaître c’est aussi reconnaître que Dieu dans sa miséricorde (et là pour moi, ce terme a sa vraie valeur) nous regarde avec amour et nous lave de ce vêtement de deuil.

Je dirai que ce en quoi (ou en qui) je crois, me permet de dire que seule la certitude d’être aimé tel que l’on est, connu tel que l’on est, et de savoir que quoique l’on fasse, on a de la valeur, permet de sortir de la honte. Et cela c’est le don de l’Esprit. Oui les thérapies sont importantes, mais, à condition qu’elles permettent à la personne de faire cette rencontre avec cette partie qui est en elle, qui est déjà en elle, et qu’il fallait faire naître.

Sortir de la honte?


Le comportement de Jésus dans les évangiles est bien de permettre à tous , à tous ces malades qui portent le péché de leurs parents inscrits dans leur chair de sortir de la honte, de se mettre debout et de retrouver leur place dans la société, l’estime des autres et aussi ce changement du cœur que seule la confiance peut donner ou permettre de retrouver. Jésus fait confiance et lui, l’homme qui a vécu la honte de la croix, peut nous en faire sortir par le don de l’Esprit qui régènère.

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