Abel
et Caïn.
Nous
avons l’habitude de toujours considérer Caïn comme le méchant, le très méchant
même, (un peu comme Judas dont on sait dès le début qu’il aura le rôle du
traitre) et Abel comme la victime, comme le gentil. Si l’on se souvient que le
prénom donné à ce dernier est évocateur de brume ou d’haleine, bref quelque
chose qui est ténu, qui n’a pas de poids, on est malgré soi poussé à vouloir
donner du poids à ce deuxième né, et être bien content que son offrande soit
acceptée. Or c’est en mourant qu’il acquière une présence : un poids, ( le sang de ton
frère crie contre toi). Pourtant il est fréquent que dans une fratrie il y ait un bon et
un méchant, et que parfois le méchant nous fasse un peu pitié, c’est le cas d’Esaü
qui se fait berner par son jumeau Jacob, mais ce n'est pas le cas de Caïn.
Une
des difficultés du livre de la Genèse, c’est qu’il ne s’agit pas d’un livre
historique, mais d’un livre rempli d’histoires, un écrit qui permet de comprendre un
certain nombre de choses sur la vie, la mort, le mal, de donner des explications et du sens pour ce peuple que
Dieu s’est choisi, peuple qui a besoin de comprendre ce qu'il en est de ses
origines et de son Dieu, et qui a besoin de se donner un enracinement alors qu’il vit une
expérience de déracinement (je fais référence à l’Exil)..
Si
on reprend un peu l’histoire de ces deux frères, les choses ne sont pas si
simples, ni si limpides. Oui, Caïn est le premier né, mis au monde par Eve,
c’est-à-dire la MERE DES VIVANTS (je mets des majuscules parce que cette
nomination fait quand même d’elle un peu une déesse).
Une
fois en dehors de ce jardin « merveilleux », ce jardin
« cultivé » donc peut-être aussi lieu de culture, puisque Dieu y
vient aussi, il faut affronter la vie dans les champs, l’insécurité, la peur.
Et si l’on relit la malédiction qui est tombée sur Adam : on lit entre
autre « maudit soit le sol à cause
de toi. A force de peines tu en tireras ta subsistance tous les jours de ta vie
(donc elle n’est plus donnée comme avant). Il produira pour toi épines et
chardons et tu mangeras de l’herbe des champs. A la sueur de ton visage tu
mangeras ton pain jusqu’à ce que tu retournes au sol, puisque tu en fus
tiré ». En d’autre termes, la vie est loin d’être facile. La vie du
paysan est dure quand la terre est hostile.
Avoir
un premier né, qui va pouvoir comme tout premier-né mettre la main à la pâte,
c’est une bonne chose. Dire « j’ai acquis un homme de par le
Seigneur », montre aussi qu’en ce petit enfant, il y a déjà l’homme qui
est là. Caïn a eu d’emblée un rôle qui a pesé sur ses épaules, être un homme. Pas un enfant, non un
homme utile et responsable. Alors « on » lui en a peut-être un peu
trop demandé à cet enfant, qui n’a pas pu être un enfant.
Arrive
Abel, et là on apprend que Caïn reprend la tâche confiée à son père :
cultiver le sol donc une tâche pas facile, compte tenu de la malédiction qui a
été lancée contre le sol. Cultiver le sol est dur et fatigant. Abel lui
s’occupe du petit bétail. Mais pour nourrir le petit bétail, il faut de
l’herbe, et l’herbe bien souvent ce sont les agriculteurs qui la font pousser,
car le petit bétail ne se contente pas d’épines et de chardons. Alors on peut
imaginer qu’entre ces deux là, ça ne doit pas toujours être l’entente parfaite.
Que
cet épisode renvoie aux querelles entre les agriculteurs et les bergers, entre
les sédentaires et les nomades, c’est bien possible. Que cet épisode qui se conclue par l'éloignement de Caïn, permette
aussi de comprendre le pourquoi des villes, puisque Caïn, chassé de la terre
paternelle en construira, c’est également possible. Mais peut-être faut il
chercher autrement.
SI
Abel offre à Dieu les premiers nés de son troupeau et même leur graisse, c’est
qu’il s’agit d’un sacrifice comme les prêtres en font, avec mort de l’animal et
offrande de la graisse pour Dieu. Les meilleurs morceaux sont en principe pour
les prêtres, mais celui qui offre quand il ne s’agit pas d’un sacrifice pour le
péché, partage la viande restante avec la famille . Il est quand même
curieux de voir qu’alors que l’humain est censé ne manger que de l’herbe, il
offre de la viande… Ce qui est présenté là, c'est bien un holocauste, et on est dans le sacré. Caïn, lui, offre plutôt un sacrifice végétal, mais ritualisé aussi. On est donc dans un autre contexte et ce qui est peut-être dit aux lecteurs, c'est que le sacrifice doit être offert avec un coeur pur.
Et
puis comment sait-on que Dieu accepte ou n’accepte pas un sacrifice. Ce qui est
certain aussi c’est que Caïn qui s’est échiné à tirer du sol (avec ou sans son
père) des plantes plus ou moins chétives (c’est que les Midrachs rapportent) il
peut trouver que son labeur n’est pas récompensé. Peut-être a-t-il une bonne
raison de ne pas être content. Abel qui se contente de faire paître le petit
bétail et de le faire prospérer (en détruisant peut-être les cultures de Caïn)
est « béni » et lui, le bosseur (un peu comme le fils aîné de la
parabole des deux fils Luc 15) est laissé sur la touche. Alors oui, il y a de
quoi être en colère, et surtout de ressentir de la honte.
Et
voilà que pour couronner le tout, Dieu s’en mêle. Il met en garde Caïn, mais du
coup, comme le dirait Paul, il révèle en nommant (visage abattu et colère) ce
qui se passe dedans. D’ailleurs l’adjectif abattu, renvoie au
comportement d’Achab dans le livre des Rois, qui ne pouvant entrer en
possession de la vigne de Nabot, se couche de dépit et refuse de manger, ce qui évocateur de dépression. Alors peut-être que au-delà de l’irritation il y a le sentiment que Dieu se
détourne, que lui l’homme en quelque sorte « donné par Dieu » à sa
mère, se trouve seul, abandonné avec son offrande qui lui reste sur les bras.
Dieu
(ou l’auteur sacré) utilise une comparaison entre le péché et une bête tapie en
soi (et celui qui s’occupe des bêtes c’est Abel), une bête qui n’est pas du
petit bétail, mais une bête féroce, celle de l’envie. En tout humain, il y a de
l’agneau et du loup. Dans cette histoire, Caïn se met à nourrir le loup qui est
en lui et plus la colère monte, et plus le loup devient fort. La fin de
l’histoire nous la connaissons: le loup ne parle pas, il agit, il tue et
c’est ce que fait Caïn.
Normalement
quand un père n’est pas content de ce que fait son fils, il lui explique
comment faire mieux, comment faire autrement. Parfois le rôle du frère, de la
mère, des sœurs, c’est de consoler. Or là, on a seulement une mise en garde
d’un Dieu qui sait ce qu’il y a dans le cœur de l’homme, c’est à dire de
l’envie, de la jalousie, de la convoitise et que cela peut mener au meurtre.
Puis Dieu s’en va et Caïn reste seul avec lui-même, avec cette offrande pas
acceptée, pendant qu’Abel (pardon pour l’imagination) va boire un coup avec les
autres bergers pour célébrer le fait que son sacrifice ayant été accepté, il y
aura beaucoup de naissances dans les mois à venir. Alors chez l’aîné, ça gronde
et ça gronde d’autant plus que son père ne dit rien, ne se manifeste pas. Où
est-il le Père ? Où est-il celui qui pourrait peut-être offrir autre
chose ?
On peut penser que le refus de l'offrande a provoqué de la honte chez Caïn, surtout s'il y a le regard des autres. La honte, est liée à l'humiliation et l'humiliation, il faut la venger. Qu'elle se traduise par de la jalousie, de l'envie, de la colère, oui, mais la honte est un vêtement mauvais, et s'en débarrasser ne peut se faire que si l'on se sent écouté et Caïn ne semble pas avoir été épaulé ou écouté par qui que ce soit.
On peut penser que le refus de l'offrande a provoqué de la honte chez Caïn, surtout s'il y a le regard des autres. La honte, est liée à l'humiliation et l'humiliation, il faut la venger. Qu'elle se traduise par de la jalousie, de l'envie, de la colère, oui, mais la honte est un vêtement mauvais, et s'en débarrasser ne peut se faire que si l'on se sent écouté et Caïn ne semble pas avoir été épaulé ou écouté par qui que ce soit.
Ce
qui reste étonnant c’est que comme son père, Caïn ne s’excuse pas. Ce qu’il a
fait il l’a fait et dire qu’il n’est pas le gardien de son frère, est quand
même une phrase très curieuse. On peut faire l’hypothèse que Caïn a lavé dans
le sang, la honte qu’il a ressenti quand son petit frère est passé devant lui.
Et de cela au fond de lui, il est fier…
L’ennui
c’est le travail de la terre lui étant interdit, il devient un nomade mais en
devenant nomade il devient aussi créateur de culture ( les villes, le métal, la
flute, c’est à dire les métiers et les arts). Comme quoi la honte même si elle est lourde à porter peut aussi être productive. Mais pour cela, la confiance ou le regard des autres est indispensable.
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