Deuxième partie : la catastrophe de la naissance.
Par ailleurs il y a bien une catastrophe que nous avons tous vécue, c’est la naissance, notre naissance. Même si cela se passe la mieux du monde, nous quittons pour toujours un environnement contenant, qui nous tient à l’écart du bruit, des variations de température et de lumière, qui nous apporte tout ce dont nous avons besoin , sans avoir à le demander. Nous somme confronté à une perte, qui peut bien ressembler à un cataclysme, à une catastrophe.
Que cette perte laisse des traces, cela paraît évident. Peut-être pas les mots pour le dire, mais il y a bien une mémoire du corps. Il y a pour tout humain un avant et un après et la nostalgie de cet avant. Et les expériences suivantes, (stade oral, anal phallique œdipien) qui sont bien souvent des expériences des frustrations et de perte, en s’étayent sur cette expérience princeps et sur une recherche de sens, peut conduire à « tout ce qui m’arrive de mauvais, c’est de ma faute, je n’ai pas été aimable, j’ai été méchant ». L’expulsion (donc d’une certaine manière l’abandon) est la punition mais la punition de quoi.
Les psychanalystes anglo saxons ont montré que durant les premiers mois de la vie, il existe des pulsions de destruction très violentes (il s’agit de la toute puissance de la pensée car dans la réalité le bébé est immature)qui donne naissance à une culpabilité. Si j’ai perdu, c’est que j’ai voulu détruire celle qui me donne tout, c’est que j’ai été jaloux et envieux. Mais dans le cas « normal » d’un environnement de bonne qualité où les besoins du bébé sont entendus cette culpabilité « normale » permet la mise en place d’un désir de réparation qui pousse le bébé à vouloir acquérir pour faire plaisir et qui est de l’ordre de la pulsion de vie.
Quand le discours familial et/ou le discours religieux vont dans le même sens, il devient facile de vivre dans un monde où pour éviter toute catastrophe, il faut obéir.
Troisième partie : le réflexe conditionné…
Je voudrais commencer par une petite histoire. J’entendais souvent ma mère dire une phrase de ce type : « il ne faut jamais dire qu’on se sent bien parce que si on dit cela, cela risque de provoquer une maladie ». En d’autres termes ne jamais se vanter, parce que… Parce que quoi ? Cela je l’ai appris à mes dépends si l’on peut dire . Moi j’avais 6 ans, je vivais dans le sud de la France, c’était le printemps, il faisait beau, j’étais heureuse, je rentrais de l’école, peut-être était il déjà possible d’aller nager, les amandiers étaient en fleurs, bref, je me suis dit que vraiment je me sentais vraiment bien. Le lendemain j’avais la rougeole. Il s’est fait un lien entre cette maladie (normale à cette époque) et ce sentiment de bien être qui m’avait envahie la veille. En d’autres termes, ne jamais dire ou même se dire qu’on se sent bien, parce que cela risque de déclencher des catastrophes.
De telles phrases nous en avons tous au fond de nous et bien souvent elles fonctionnent à notre insu. Mais il y a besoin de comprendre pourquoi du mauvais advient d’un seul coup, pourquoi une catastrophe nous tombe dessus. Dans mon cas il y avait « j’aurais mieux fait de tenir ma langue », donc ne pas dire, de garder les choses en moi. Et du coup il se crée une sorte de persistance de la toute puissance de la pensée qui permet (soit disant) de maîtriser les événements pathogènes. Si je ne dis pas, il ne m’arrivera rien de mauvais. C’est le fait d’avoir montré qui a provoqué la maladie. Il se crée donc un lien très fort entre ce que je pense (ou pas) et ce qui m’arrive.
J’ai tendance à appeler cela une sorte de réflexe conditionné. Si je pense telle chose, il arrivera ceci ou cela Et faire du sens c’est un besoin fondamental de l’être humain. Seulement il peut arriver que des interprétations faites pendant l’enfance soient complètement erronées, mais continuent à fonctionner à notre insu.
Un des buts de l’éducation est de créer en nous des reflexes qui nous permettent d’échapper finalement à la mort. Mais certains reflexes d’une part évoluent avec le temps (ne pas poser sa main sur quelque chose de brulant est modifié si on met un gant anti brûlure) et peuvent être pathogènes. Par exemple faire croire à un enfant que tout ce qui arrive de mauvais est de sa faute, va créer chez lui la pensée réflexe : si quelque chose ne va pas, c’est que je suis nul et si je suis me permettre mettre cela dans la tête et le cœur d’un enfant, c’est nul.
Il y a une expérience faite sur des rats qui m’a toujours paru fort intéressante. Si on crée dans le territoire de l’animal un endroit où il prend des chocs électriques quand il veut y aller, très vite, il s’en abstiendra, quitte à vivre dans une zone « trop petite pour lui » ce qui renforce l’agressivité entre congénères. Mais même si le courant est enlevé, il n’ira plus jamais dans cette zone, identifiée définitivement comme dangereuse alors qu’elle ne l’est plus, et que ce réflexe conditionné l’oblige à ne pas utiliser sa curiosité et sa créativité et l’oblige aussi à vivre dans des conditions qui ne sont pas bonnes pour lui. Il crée une sorte d’amputation. Il se prive de quelque chose. Curieusement c’est une attitude que nous avons aussi : quand il nous est arrivé une fois, un accident quelque part, nous avons tendance à éviter cet endroit et ce pour toujours. Or ce qui est arrivé une fois, certes peut se reproduire, mais avec quelle probabilité ? N’empêche que la peur crée des réflexes de ce type et que ce n’est peut-être pas ce qu’il y a de mieux. Le pire étant : « je t’avais interdit d’aller là, tu y es allé et tu as eu un accident, donc la désobéissance est la source de tous les maux ».
Les travaux d’Alice Miller, et son livre phare : « C’est pour ton bien », montrent à quel point dans certains familles il est possible de créer des réflexes conditionnés liés aux punitions (chocs électriques) qu’elles soient physiques ou psychologiques, réflexes qui poussent l’enfant à une auto destruction, qu’il reproduira ensuite sur sa propre descendance.
Ces écrits montrent aussi que ce conditionnement donne une vue déformée de la réalité du monde et qu’il est très difficile de réajuster sa vision. Il est très difficile de dire que la famille a eu tort, que c’est elle qui est folle et pas vous. D’une certaine manière la question qui peut se poser est : qui est fou ? Moi que l’on traite de fou ou eux qui me le font croire parce que cela les arrange.
La formulation de ce réflexe serait : je vis quelque chose qui me fait mal, c’est que je l’ai mérité. Le mal est la conséquence d’un acte délictueux, il est ma punition. L’association entre le manque et la faute est extrêmement fort. Il est renforcé par le discours familial, mais aussi par le discours religieux, en particulier dans le premier testament (j’y reviendrai) et comme pour le rat de laboratoire, il crée finalement une attitude pathogène. Croire que tout ce qui fait mal est conséquence de sa propre incurie, alors qu’il s’agit aussi d’une possibilité qui nous est donnée, pour apprendre à agir sur l’environnement, fait de nous des êtres qui vivent dans la culpabilité et qui deviennent très manipulables.
Au lieu de dire : si quelque chose de mauvais arrive (perte), c’est parce que j’ai fait quelque chose de mal (péché) ne faudrait il pas dire : quelque chose de mauvais arrive, c’est un fait, comment puis je le combattre et éviter dans la mesure de mon possible que cela ne recommence. Si cela recommence, je peux me poser des questions sur mon rôle et ma responsabilité là dedans,(mais seulement à partir du moment où je deviens acteur de ma vie, c’est à dire bien au delà de la petite enfance). Et même cette attitude là, permet de devenir acteur dans sa vie. On n’est plus le sujet d’une sorte de malédiction. Il est possible de devenir acteur de sa vie, de ne plus être le jouet d’une sorte de malédiction. Dans le premier cas, je suis passif devant le fait, dans l’autre cas je deviens acteur et cela change les choses.
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