Ce texte a été lu la semaine dernière, et en y
réfléchissant (enfin ce n’est pas le bon mot, on pourrait dire en le laissant
agir) un certain nombre de pensées me sont venues. Et il m’a semblé que ce
qui est arrivé à Paul nous pouvons le demander pour nous : être enveloppé
de lumière, reconnaître son aveuglement, se laisser guider, se laisser remplir
par l’esprit, et se rendre compte que ses yeux s’ouvrent (un peu, car les
écailles, elles sont douées pour revenir!).
Mais en reprenant les autres passages où cette
conversion est rapportée (Actes 22, Actes 26), je me suis rendue compte que certains détails sont
différents. Par exemple en Actes 22.9, ceux qui accompagnent Paul voient la lumière mais
n’entendent pas la voix; et ce que dit et fait Ananie est un
peu différent (il n’impose pas les mains, mais parle: "Retrouve
la vue", puis propose le baptême); et au chapitre 26 tous tombent à
terre, et la mission de Paul est d'ouvrir les yeux des juifs et des
païens pour les ramener de l’obscurité à la lumière (ce que Paul est en train de vivre) et de
les délivrer du pouvoir de Satan.
Voici le texte de Actes 9, 1-19 (juste pour l’avoir en
mémoire, un peu allégé); je mets en gras les mots qui ont compté pour
moi.
"Comme il était en route et approchait
de Damas, une lumière venant du ciel
l'enveloppa soudain de sa clarté.
Il tomba par terre,
et il entendit une voix qui lui disait : « Saul, Saul,
pourquoi me persécuter ? »
Il répondit : « Qui
es-tu, Seigneur ? - Je suis
Jésus, celui que tu persécutes.
Relève-toi et entre dans
la ville : on te dira ce que tu
dois faire. »
Ses compagnons de route s'étaient arrêtés, muets de stupeur : ils
entendaient la voix, mais ils ne
voyaient personne.
Saul se releva et, bien qu'il eût les yeux ouverts, il ne voyait rien. Ils le prirent par la main pour le faire entrer à Damas.
Pendant trois jours, il fut
privé de la vue et il resta sans manger ni boire.
Or, il y avait à Damas un disciple nommé Ananie. ….
Mais le Seigneur lui dit : « Va ! cet homme est
l'instrument que j'ai choisi pour faire parvenir mon Nom auprès des nations païennes, auprès des rois et des fils
d'Israël.
Et moi, je lui ferai découvrir tout ce qu'il lui faudra souffrir pour mon Nom. »
Ananie partit donc et entra dans la maison.
Il imposa les mains à Saul,
en disant : « Saul, mon frère, celui qui m'a envoyé, c'est le
Seigneur, c'est Jésus, celui qui s'est montré à toi sur le chemin que tu
suivais pour venir ici. Ainsi, tu vas retrouver
la vue, et tu seras rempli d'Esprit
Saint. »
Aussitôt tombèrent de ses yeux comme des écailles, et il retrouva la
vue.
Il se leva et il reçut le
baptême.
Puis il prit de la nourriture et les forces lui revinrent".
Les réflexions au fil du texte:
Saul tout d’abord est près de Damas. Il
est presque arrivé au but de son voyage; pour lui tout va bien. Et tout se gâte
si on peut dire. Il est enveloppé d’une lumière venant du ciel. Etre enveloppé
dans cette lumière, c’est quelque chose de rare dans la Bible. Cela arrive à
Moïse quand il contemple Dieu durant les 40 jours sur le Sinaï : la
lumière est signe de la présence de divin. Est ce une théophanie ? La
lumière, la voix… Serait ce les prémisses de la Pentecôte de Saul ?
Il se passe donc quelque chose d’étrange. Saul
est comme pris dans un filet de lumière (le filet de l’oiseleur qui ne se
rompra pas, car si Saul veut faire des prisonniers à Damas, là c’est lui qui va
devenir prisonnier). Saul est un peu comme un poisson et c’est peut être pour
cela que quelque chose comme des écailles tomberont de ses yeux. Jésus est
parti pêcher cet homme qui croit tout savoir et qui se prend pour un juste.
Cette lumière est-elle celle que voient les personnes qui
quittent ce monde ? En tous les cas, Saul tombe par terre (et j’aurais
envie de dire « comme mort, » un peu comme le prophète Daniel lors
des apocalypses ou même Jean. Un peu comme si une sorte de voyage allait
commencer pour lui).
Si je suis réaliste, je dirai que Saul fait
comme une crise, qui lui ôte ses moyens. Il est
dans la lumière et il est mort. Dans ce texte là, la lumière n'est pas vue par les compagnons de Saul, qui entendent la voix sans comprendre les mots. C’est donc une expérience « particulière,
intime ». La voix entendue, elle, est assez fréquente dans la Bible, que ce soit sur l'Horeb ou au moment de la transfiguration ou du baptême de Jésus.
Ce renversement de Saul (cette chute), fait un peu penser au
renversement des gardes qui viennent arrêter Jésus dans l’évangile de Jean, ou de ceux qui assistent à la résurrection dans l'évangile de Matthieu. Et
c’est bien cela qui se passe: Saul vient arrêter les disciples et il va
comprendre que les disciples et Jésus cela fait un. Si on touche à un seul de
« ces petits qui sont à lui » c’est à Lui que l’on touche. D’emblée,
Saul est confronté au « Corps du Christ ». L’expérience qu’il fait
là est peut-être à l’origine de ce qu’il dira plus tard aux différentes
communautés.
Imaginons donc Saul qui vient de tomber (comme
mort) et qui dans ce monde « nouveau », entend une voix, qui
l’appelle deux fois par son nom et qui pose une question : « Saul,
Saul pourquoi me persécutes-tu? » Or ce qui me frappe, c’est que Saul ne
répond pas à la question… Il reste curieux, il veut savoir; et comme un bon
juif, il répond à la question par une autre question. « Qui es-tu
Seigneur? », mais là quelque chose s’est joué, car qui appelle-t-on
Seigneur ? Le lien Jésus/Seigneur est fait, même si Saul n’en n’est pas
pleinement conscient.
La réponse qui lui a été faite est
certainement un coup de tonnerre dans le ciel bleu de ses certitudes. Il ne
peut douter de l’affirmation qui lui est révélée: que Jésus qu’il persécute est
le Fils de Dieu, qu’Il est bien mort et ressuscité. Cela va faire de lui un
autre homme, un homme qui va obéir. Car le Saul qui va à Damas était certes mandaté par les grands prêtres, mais il s'agissait de son initiative.
Là on lui
dit: « relève-toi » (mets toi-debout, ressuscite avec moi), mais
aussi entre dans la ville et « on » te dira ce que tu dois faire.
Saul apprend l’attente et l’obéissance. Pour l’homme impétueux qu’il est cela
doit être difficile.
Devoir prendre la main de ceux qu’il commandait n’a pas dû être simple non plus. Apprendre la dépendance mais aussi peut être la fraternité.
Devoir prendre la main de ceux qu’il commandait n’a pas dû être simple non plus. Apprendre la dépendance mais aussi peut être la fraternité.
Je pense que le symbolisme des trois jours
n’est pas neutre ; Saul reste trois jours dans une certaine obscurité,
malgré la lumière qui l’a enveloppé (pris sous son ombre pourrait on dire). Il a
les yeux ouverts, mais il ne voit pas… Il est dans un « ailleurs ». Il
est couché, il est comme mort finalement. Peut être ne sait il pas où et chez
qui il est. Il n’a plus aucun repère, sauf ce qui se passe en lui, mais cela
nous n’en savons rien. La résurrection se fera aussi au bout de trois jours.
Les trois jours sans boire ni manger, sont
évocateurs de la mort. Bien sûr on peut penser à Moïse qui reste sans boire ni manger pendant 40 jours, ou à Elie dans sa fuite à l'Horeb, mais c'est aussi une sorte de manière de dire qu'il se passe quelque chose où le corps ne compte pas. Dans une de ses épitres Paul parle des visions qu'il a eues (2 Cor 12, 3: "et je connais un tel homme (si ce fut dans le corps, si ce fut hors du corps, je ne sais, Dieu le sait)", peut être fait il allusion à ce moment de sa vie?
La phrase dite par le Seigneur à Ananie est
curieuse, du moins la finale. Certes il y a l’élection : « cet homme est
l’instrument que j’ai choisi » mais il y a aussi « je lui ferai
découvrir tout ce qu’il devra souffrir pour mon nom ». Saul, qui n’a pas
voulu entendre le nom de Jésus alors que l’on lapidait Etienne, qui a été
comme sourd à ce nom (et sourd aussi à l’enseignement de son maître Gamaliel
qui était très tolérant) va savoir dès le début que sa mission sera difficile
et que lui qui a persécuté sera persécuté, et en cela sera image de son
Seigneur. Les Actes et les épîtres montrent bien que cela s'est réalisé..
L’imposition des mains d’Ananie est aussi très
étonnante. Il appelle Saul son frère, ce qui montre aussi le travail qui s'est fait en lui, car cela ne lui disait rien d'aller voir ce Saul qui venait pour faire du mal à la communauté. Nous sommes habitués à ce geste, mais en soi "imposer" n'est pas un geste doux. On impose sa volonté, on s'impose aussi parfois. Là il s'agit d'une transmission que a priori Saul n'a pas demandé, mais qui est un geste ecclésial et qui l'intègre dans une communauté. C'est aussi un geste de guérison qui implique que celui qui impose a le pouvoir (transmis par Dieu) de guérir.
Ce geste permet
que quelque chose qui fait penser à des écailles, ou à la taie qui était sur les
yeux de Tobie, tombe des yeux de Saul. La vue est rendue, Saul est guéri. Il
expérimente dans son corps ce qu’est une guérison, à deux niveaux :
guérison des yeux, organes de la vision, mais guérison aussi d’une vision
erronée des événements qui s’étaient passés à Jérusalem, qui ne lui avait pas
permis de reconnaître Jésus comme Seigneur. Je pense que cela c’est le travail
de l’Esprit Saint et je ne suis pas sûre que Saul ait eu besoin d’être baptisé
dans l’eau (pardon des péchés) pour recevoir l’Esprit Saint. Je veux dire, que la guérison est présence de l'Esprit Saint en lui.
Si on prend la suite, il est dit que Saul se
leva et reçu le baptême. On peut donc imaginer que Saul a passé ces trois jours
dans un état second, une sorte de prostration: mais s’il est dit à Ananie que
Saul prie, c’est qu’il est peut être dans un état (dont il parlera plus ou
moins en Actes19), où son corps est là, mais où lui n’est pas là. La voix du
disciple envoyé par Jésus le rappelle à la vie si l’on peut dire. Il y a eu la
voix de Jésus sur le chemin, il y a maintenant une autre voix, la voix d’un
envoyé.
Ce que je pense, c’est que la parole et le
geste du disciple donnent en quelque sorte la vie à Saul, qui se lève. De fait
dans ce texte il se lève ou se relève par deux fois : une fois sur la
route, une fois dans la maison. "Il se leva, reçut le baptême, prit de la
nourriture et les forces lui revinrent". Saul est revenu dans le monde des
vivants, et sa mission commence.
Ce vécu presque initiatique de Saul, je pense qu’il est le
nôtre, d’une manière ou d’une autre. J’aime bien m’identifier aux personnages,
tant du premier que du deuxième testament. Et là, en essayant de ressentir (à
ma manière) ce que Saul a pu vivre là, il m’a été possible de sentir cet
envahissement par l’Esprit Saint, je veux dire qu’il suffit parfois d’oser
demander pour obtenir. Demander que les écailles tombent pour que la vison soit
changée et que la présence du Souffle devienne pour un temps un peu plus
perceptible.
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